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Yoann Solirenne : « L’empire dans tous ses états : approche comparée du fait impérial »

Découvrez la nouvelle réflexion de Yoann Solirenne dans Le Banquet.
empire - Yoann Solirenne le banquet

Crédits photo : Shutterstock

Depuis le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022, une notion revient fréquemment dans l’espace médiatique : celle d’empire. À cet égard, en avril dernier, Le Point a publié un numéro spécial au titre sensationnaliste : Russie. Les secrets d’un empire en guerre. Le résumé a de quoi faire sourire. La Russie – qualifiée d’« État paria » – serait devenue le « quasi-vassal de la Chine » et la guerre en Ukraine ne serait rien d’autre que le « dernier soubresaut d’un empire déclinant » 1. D’autres ont livré une analyse un peu plus fine comme l’historienne Françoise Thom qui, dans un entretien accordé à L’Obs, évoque le cas d’un « empire en expansion permanente »2. Même le pape François s’est récemment fait géopolitologue en déclarant, qu’en Ukraine, sévissaient « des intérêts impériaux, pas seulement de l’empire russe, mais des empires des autres parties »3. Complotiste le Saint-Père ? Pas si sûr… Comme bien souvent de nos jours, le mot « empire » est mis à toutes les sauces, de la plus sirupeuse à la plus aigre. L’espace d’un article, nous tenterons d’en définir les contours et proposerons une typologie permettant d’affiner la compréhension du fait impérial dans l’histoire. Imaginer que tous les empires se ressemblent est une vue de l’esprit, une facilité intellectuelle, qui ne résiste pas à une analyse comparée.

Au commencement, il y a le mot imperium, désignant l’autorité souveraine – du père sur ses enfants, ou du maître sur ses esclaves  – avant de qualifier la délégation du pouvoir suprême confié à un général en campagne et effectuant ses conquêtes au nom de la République romaine. Le caractère militaire du terme est un aspect important sur lequel nous reviendrons. Ce n’est véritablement qu’au Moyen Âge que le terme « empire », perçu comme un « État soumis à l’autorité d’un empereur », prend sa pleine signification. Depuis, les historiens ont proposé de nombreuses définitions. Aujourd’hui, un certain consensus existe, même s’il est des cas où son emploi reste débattu4. Ainsi, nous pouvons dire qu’un empire est un vaste territoire ne pouvant être inclus dans nul autre ensemble, le tout soumis à l’autorité d’un empereur détenant la souveraineté absolue. Certains critères sont communs aux empires, à l’image de leur superficie généralement très étendue. Nous pourrions également dire que, généralement, ces derniers recherchent une certaine continuité territoriale et possèdent un cœur battant (Rome, Aix-la-Chapelle, Bagdad, Moscou…), censé être au centre du cosmos tout en le reproduisant à une échelle humaine. D’ailleurs, chaque empire se perçoit comme le point de convergence autour duquel s’organise le reste du monde, selon une logique spatiale s’articulant autour du couple centre-périphérie.

À ces remarques d’ordre géographique, s’ajoutent celles concernant ce que nous pourrions désigner comme relevant de « l’idéologie impériale ». Sur ce plan, l’empire est en quête perpétuelle de puissance. Afin de parvenir à ses fins, il peut actionner deux leviers : la force des armes ou l’usage de ses richesses. L’idée impériale étant la plupart du temps associée à celle de conquête, il faut ici distinguer la théorie de la pratique. Sur le plan théorique, l’idéal poursuivit est celui de la propagation de la paix universelle. Tel le soleil au centre de l’univers, l’empire est si éblouissant qu’il attire à lui les peuples gravitant autour de lui. Néanmoins, que se passe-t-il lorsque les lois de la gravitation buttent sur une résistance imprévue ? La réponse est simple : la guerre. Un conflit d’un genre particulier qui ne vise pas à anéantir mais à soumettre pour, ensuite, intégrer et pacifier. D’une certaine manière, l’empire voit dans l’Autre une future extension de lui-même. C’est sans doute ce qui explique leur plasticité quant à leur composition ethnique. Comme l’écrit Sylvain Gouguenheim, l’empire « tend moins à l’homogénéité qu’à la loyauté » de ses sujets 5. Les religions monothéistes ont, à cet égard, facilité le processus d’unification et d’association axé autour d’une l’idée simple : « un Dieu, un empereur ».

Après cette (trop) brève description, une question mérite d’être soulevée : malgré ces convergences, tous les empires se ressemblent-ils ? C’est précisément à cette interrogation que le présent article tente de répondre en proposant une typologie qui, aussi imparfaite soit-elle, permettra – nous l’espérons – d’affiner la compréhension du fait impérial.

Les empires ouverts, ou la quête de l’universalisme

Dans l’ouvrage, précédemment cité, portant sur Les empires médiévaux, les auteurs distinguent trois grands types d’empires : ceux à vocation universelle, ceux clos ou cantonnés et ceux éclatés. Sans trop nous éloigner de cette tripartition, nous simplifierons l’approche du fait impérial. Le premier type relève de ce que nous qualifierons « d’empires ouverts ». À cet égard, le cas romain est emblématique et mérite quelques développements.

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