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Yoann Solirenne : « De l’art d’imposer sa volonté : du 49-3 aux lits de justice dans l’Ancien Régime »

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Lit de justice, 49-3

Crédits photo : Shutterstock

Dans la Constitution de la Ve République – promulguée le 4 octobre 1958 et révisée, pour la dernière fois, le 23 juillet 2008 – il est question, dans les articles 34 à 51, des rapports entre le gouvernement et le Parlement. Décliné en quatre alinéas, l’article 49 est sans doute le plus « célèbre » de tous. Celui-ci fut initialement prévu pour éviter toutes crises ministérielles. Activé par le Premier ministre, l’article engage, devant l’Assemblée nationale, la responsabilité du Gouvernement. Autrement dit, il permet d’imposer un texte de loi sans débat parlementaire. L’alinéa 3, depuis que l’ancien chef du gouvernement Manuel Valls l’utilisa à trois reprises pour imposer la « Loi Macron » (6 août 2015), suscite désormais des interrogations. De nombreux citoyens ont jugé ce recours abusif. Si certains y voient un déni démocratique, d’autres préfèrent évoquer un aveu de faiblesse.

Pourquoi un tel emballement au sujet d’un texte âgé de près de 65 ans ? Ne serait-il pas temps pour lui de prendre sa retraite ? Cette levée de boucliers semble correspondre à un détournement de l’esprit initial de la loi. Le recours à l’article 49, et à son troisième alinéa, devait demeurer exceptionnel. Or, depuis 2015, sa banalisation crée un trouble. Sur les vingt-quatre Premiers Ministres de la Ve République, huit ne l’ont jamais dégainé, huit l’ont utilisé moins de cinq fois, six moins de dix fois et deux – dont Élisabeth Borne – plus de dix fois. Ainsi, plus de la moitié des chefs des gouvernements successifs l’ont mobilisé à moins de cinq reprises. Plus encore, cette arme constitutionnelle était, à l’origine, censée être utilisée par des gouvernements faibles, dépourvus de majorité à l’Assemblée. Dans ce contexte, son recours devant une Assemblée majoritairement ralliée à l’exécutif a de quoi étonner, au mieux, déconcerter au « pire ». La loi est une chose, la manière de la mettre en œuvre en est une autre… Ainsi résumé, deux problèmes se posent : la multiplication de son application et, qui plus est, devant des parlementaires qui, a priori, marchent dans le sillage du président et de son gouvernement. Si, dans les faits, l’Assemblée actuelle ne donne qu’une majorité relative à l’exécutif, qui peut encore honnêtement affirmer que Les Républicains ou le MoDem jouent un rôle d’opposition ? Mais c’est un autre débat…

Ce qui nous intéresse ici, c’est la notion de souveraineté et ses usages. Si le système démocratique suppose, en théorie, une conception horizontale du pouvoir, l’article 49-3 ouvre comme une brèche verticale dans l’édifice républicain. L’historien, à l’esprit quelque peu chatouilleur, ne peut s’empêcher de songer à la clause intentionnelle venant conclure les actes royaux afin de souligner la volonté du souverain : « Car tel est notre plaisir ». En français moderne, il faut comprendre : « Car ainsi en avons-nous décidé ». Le roi a parlé, ainsi soit-il ! Le 49-3 est dégainé, haut les mains ? L’objectif de cet article n’est pas de dresser un parallèle grossier entre hier et aujourd’hui. Mais « hier » ne permet-il pas de mieux comprendre « aujourd’hui » ?

À cet égard, une pratique d’Ancien Régime mérite notre attention : celle du lit de justice. Dans son Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’historien Marcel Marion en donnait la définition suivante : « Les pouvoirs des compagnies de justice étant une délégation du souverain cessaient lorsque le roi venait s’acquitter lui-même de son devoir royal de rendre la justice. (…) De là, l’habitude des rois de se rendre en leurs Parlements pour y faire enregistrer d’autorité les édits, déclarations, etc., auxquels ceux-ci résistaient. C’est ce qu’on appelait lits de justice ». Autrement dit, le lit de justice était une cérémonie au cours de laquelle le roi se déplaçait en personne au sein d’un parlement pour y imposer une loi. Partant de cette définition, nous proposons d’en retracer les origines pour ensuite en préciser le fonctionnement et les conséquences.

Du meuble à la cérémonie, ou la mise en scène du pouvoir

Le terme de « lit de justice » désigne, à partir du XIVe siècle, le mobilier – de l’estrade au dais en passant par la couverture et les coussins – installé au cœur du parlement pour accueillir le souverain lors de ses visites. Au XVIe siècle, par un effet de métonymie, la signification du terme évolue. Désormais, le « lit de justice » désigne une séance parlementaire, d’un genre particulier, au cours de laquelle le roi s’invite en son parlement pour faire part de « son bon plaisir », c’est-à-dire afin de passer au-dessus de l’institution et d’imposer sa décision.

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