Nicolas Vidal : « La distraction, jusqu’à la mort ? »
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« Quand un peuple devient un auditoire et les affaires publiques un vaudeville, la nation court un grand danger : la mort de la culture menace »
Critique et théoricien de la communication, l’américain Neil Postman a écrit beaucoup de choses fondamentales dans son ouvrage Se distraire à en mourir. Il analyse de façon chirurgicale le rôle des médias et la propagation du plaisir immédiat dans l’effondrement intellectuel et culturel des populations. Voilà une lecture, comme beaucoup d’autres, profondément structurantes pour mieux appréhender la manière avec laquelle les peuples occidentaux sont entrés dans une léthargie hédoniste qui a progressivement détruit la démocratie, la notion d’avenir en commun et qui, mécaniquement, remet en cause le fonctionnement même de nos démocraties.
Dans cet article, nous nous poserons la question plus spécifique de ces millions de Français qui ont fait le choix de troquer leur citoyenneté contre une merveilleuse et émolliente démocratie IKEA. Comment une grande partie de la population s’est elle-même exclue sans le vouloir vraiment des affaires de la Cité ?
D’abord, rappelons que ce phénomène n’est pas nouveau. Il a même traversé les siècles, résistant aux vicissitudes de l’Histoire qui a pourtant montré, à bien des époques, que le recul de la citoyenneté, bien souvent combinée à la pauvreté, étaient toujours les signes avant-coureurs de la mise en place d’un régime totalitaire. Déjà dans la Grèce antique, les individus, obnubilés par leur intérêt propre, étaient considérés comme des « idiots » qui mettaient en péril la démocratie. En effet, en grec, le mot « idiot » désigne le « particulier », celui qui ne pense qu’à son « intérêt propre ». De quoi éclairer notre lanterne et mieux comprendre les lignes qui suivent. Et malheureusement, cette inertie vers la « grande dispute » n’est pas inhérente à nos contemporains comme nous allons le découvrir…
La France de ces trente dernières années a connu une augmentation fulgurante de son contingent d’autruches et de tubes digestifs, insensibles à la chose publique, indifférents à l’avenir de leur Nation, réfractaires à toutes formes de politique, claquemurés dans un univers personnel étriqué et prêts à s’asservir pour faire grossir la timbale du plaisir immédiat, fugace et égoïste.
Pour s’en convaincre, il suffit de porter un regard attentif aux dernières études sur la consommation visuelle des écrans par les Français. En 2022, le Baromètre du numérique estimait que « les Français mobilisaient en moyenne près de 32 heures par semaine devant un écran ». Et selon Médiamétrie, ils passent également près de 3 heures et 26 minutes chaque jour devant la télévision. Certains observeront que l’on constate une baisse sensible par rapport aux années précédentes, mais qui s’explique aisément par un transfert d’écran vers les téléphones portables et les tablettes, ce qui n’est en rien rassurant. La consommation boulimique a simplement changé de support, pas de trajectoire.
Ces chiffres sont tout simplement effrayants tant l’activité domestique semble littéralement cannibalisée par la télévision et les écrans au sein des foyers et ne laisse donc place à aucune émulation culturelle ni intellectuelle. Et bien souvent, les enfants y sont fortement exposés, avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique. Il n’y qu’à lire pour s’en convaincre les ouvrages édifiants de Michel Desmurget sur les effets dévastateurs et irréversibles des écrans sur les plus jeunes, accélérés par la complicité involontaire des parents.
C’est dommage de ne pas avoir pensé à vulgariser cet article en le mettant gratuitement à disposition, ça permettrait de mieux le diffuser et par conséquent d’en éveiller peut-être quelques-uns !
Par les temps qui courent et à moins de 3 mois d’élections importantes (eh oui, l’UE ça nous concerne au 1er chef !) cette piqûre de rappel ne serait sans doute pas inutile.