L’affaire Rachel : la France, Kafka et l’autisme
Extrait de l’article L’affaire Rachel : la France, Kafka et l’autisme de Marion Messina paru dans le Juste Mensuel n°2 (décembre 2021)
Comment la méconnaissance de l’autisme a pu conduire quelques professionnels à arracher trois enfants à leur mère ? Entre cruauté institutionnelle, orgueil des experts et « exception française » dans le traitement de l’autisme, le cas de Rachel nous dévoile le visage encore tabou de l’Aide sociale à l’enfance et de l’emprise de la psychanalyse sur la psychiatrie publique.
En 2012, séparée depuis peu, Rachel s’occupe à temps plein de ses enfants âgés d’un à six ans, à Saint-Marcellin en Isère. Le comportement de son fils de deux ans l’interroge : depuis plusieurs mois, il aligne et range méticuleusement ses jouets sans jamais les utiliser, il se braque, ne supporte pas le contact et a des accès de colère ; le médecin de famille souffle à Rachel un mot qui va changer le cours de sa vie : autisme. Désireuse d’aider son fils, elle se tourne vers l’unité de pédopsychiatrie du CHU de Grenoble afin que son fils rejoigne un hôpital de jour. Pourtant, le comportement de l’enfant va empirer avec ce nouveau suivi. Rachel se sent mise à l’écart par l’équipe soignante qui finit par lui demander de ne plus venir, aucun diagnostic n’est posé ; Rachel ignore tout du déroulé des journées de son propre enfant.
Rachel souhaite faire diagnostiquer officiellement son enfant mais le centre de ressources dédié à l’autisme en Isère ne reçoit pas avant deux à trois ans d’attente. Impossible pour cette mère seule qui doit gérer les débordements de son cadet et s’occuper de deux autres enfants encore petits. Rachel se décide à contacter un psychologue libéral spécialiste de l’autisme, en-dehors du circuit de l’hôpital de jour. Sans le savoir, ce choix va la conduire en Enfer : l’hôpital de jour va signaler la mère à l’aide sociale à l’enfance (ASE) via une procédure d’« information préoccupante » en la soupçonnant de vouloir soustraire son fils à l’institution pour resserrer son « emprise » sur lui. En mars 2013, cette énième courageuse dénonciation anonyme arrive au conseil départemental de l’Isère. Une cellule d’enquête est aussitôt mobilisée. Un courrier prévient Rachel qu’une assistante sociale va se présenter à son domicile afin de l’observer dans son contexte familial, analyser ses rapports avec ses enfants et présenter un rapport au juge pour enfants.
Le début du pire
De bonne volonté et confiante, Rachel pense alors que l’affaire va être classée. Il n’en sera rien. « Quand ils viennent à la maison, qu’ils font le tour de l’appartement, qu’ils décortiquent pièce par pièce, c’est un très mauvais moment à passer » témoigne la suspecte dans le documentaire qui lui a été consacré en avril 2019 par la chaîne Public Sénat (« Rachel : l’autisme face à l’épreuve de la justice », réalisé par Marion Angelosanto). Et celle-ci d’ajouter « nous avons été convoqués dans leurs bureaux et ils ont pris mes enfants, sans ma présence. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je sais que ma fille après m’a dit « Maman, elle nous a demandé si tu nous tapais » ». Les travailleurs « sociaux » scrutent les faits et gestes de Rachel afin d’y déceler des indices de mauvais traitements infligés à ses enfants. Le problème, c’est que le dernier de la fratrie commence lui aussi à présenter des signes d’un trouble du spectre autistique. Les travailleurs « sociaux » décident que Rachel a besoin d’une « aide éducative à domicile ». « En théorie, c’était tout beau, tout parfait. On allait m’aider, j’allais avoir des rendez-vous. On a eu en tout et pour tout trois rendez-vous qui se sont très mal passés parce qu’ils étaient dans le jugement. Il n’y avait pas d’aide ».
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