Georges Kuzmanovic : « Faisons des enfants, pas des réformes néolibérales ! »
C’est un fait bien connu : on fait de moins en moins d’enfants, en particulier dans les pays occidentaux. Le thème de la natalité pourrait paraître secondaire ; il ne l’est pas, bien au contraire, car le problème démographique est un indicateur puissant de l’état de la société, révélateur de dysfonctionnements profonds – économiques, sociaux, politiques, sanitaires et moraux. Relever le taux de natalité suppose des engagements politiques forts dans de nombreux domaines. Pourtant, les politiques s’intéressent peu à cet enjeu crucial pour notre avenir. C’est un grave tort auquel cet article espère – un peu – remédier.
La vitalité démographique d’un pays se mesure par deux types de facteurs : d’un côté, les indicateurs relatifs à la natalité (taux de natalité, taux de fécondité, indice de fécondité) ; de l’autre, ceux relatifs à la mortalité (taux de mortalité, taux de mortalité infantile). Deux d’entre eux sont particulièrement parlants : l’indice de fécondité, qui mesure le nombre d’enfants par femme, et le taux de mortalité infantile, qui mesure le nombre d’enfants décédés avant d’atteindre un an, divisé par le total des enfants nés vivants dans l’année. Ce dernier taux, présenté sous forme d’un chiffre rapporté à 1 000 naissances (‰), sert principalement à évaluer la qualité des soins en obstétrique et en pédiatrie dans un pays. Pour qu’il y ait renouvellement des générations, il faut, en toute logique, un indice de fécondité d’au moins deux enfants par femme – si, bien sûr, le taux de mortalité infantile est très bas, ce qui suppose un système de santé efficace et accessible à tous. Un taux inférieur à deux enfants par femme annonce, à terme, une contraction de la population.
État des lieux
Concernant l’indice de fécondité, on peut parler de grave dépression dans tout l’Occident. En Europe, il est de 1,28 pour la Grèce, 1,4 pour la Pologne, 1,67 en Suède, 1,53 en Allemagne, 1,19 pour l’Espagne, la moyenne pour l’ensemble de l’Union européenne se situant à 1,50. Ailleurs dans le monde développé, ce n’est pas mieux : 1,66 pour les États-Unis, 1,58 en Australie, 1,34 au Japon et un ahurissant 0,87 en Corée du Sud.
Notre pays se porte le mieux au sein du monde occidental, avec 1,80 naissance par femme, mais ce chiffre est en recul rapide. En Italie, où le taux de fécondité est de 1,24 enfant par femme, on parle de crack démographique. Nos voisins transalpins sont intéressants à étudier car, souvent ce qu’il s’y passe en termes économiques, politiques ou démographiques est annonciateur de ce qui risque d’arriver en France. En 2022, il y a eu 393 000 naissances dans la péninsule, chiffre le plus bas depuis que la République d’Italie existe, pour deux fois plus de décès. L’indice de fécondité italien diminue d’année en année, provoquant une saignée démographique sévère : l’Italie a ainsi perdu 200 000 habitants en 2021, 400 000 en 2022. Sur dix ans, il s’agit de 1,3 million d’Italiens en moins.
Nous n’en sommes pas encore là en France. En 2022, selon l’Insee, le pays compte 68 millions d’habitants et sa population augmente de 0,3 %. Cette année-là, 723 000 bébés sont nés en France, mais c’est 19 000 de moins qu’en 2021. Avec un indice de fécondité de 1,84, 2021 fut une année de rebond dont aurait pu espérer qu’elle mettrait fin à six années de baisse consécutive. Mais la natalité repart fortement à la baisse en 2022 pour atteindre, en 2022, le niveau de 1,80 enfant par femme, historiquement bas. L’amélioration de 2021 a été principalement due aux conséquences de la crise de la Covid et aux périodes de confinement, et n’enraie pas le déclin.
Or la baisse de l’indice de fécondité peut entraîner des conséquences importantes pour l’économie et, plus généralement, la puissance d’un pays. L’historien et anthropologue Emmanuel Todd souligne ainsi l’importance de la démographie pour comprendre les dynamiques sociales et politiques. À ses yeux, la natalité et la mortalité sont des indicateurs clés de l’évolution d’une société. C’est à l’aide de ces indicateurs qu’il a pu prédire, avant tout le monde, dans les années 1970, l’effondrement de l’URSS et qu’il a noté, dès 2003, alors que la vaste majorité des analystes et commentateurs chantaient les louanges de l’hyperpuissance américaine, le lent tassement et les grandes difficultés sociales et économiques à venir aux États-Unis.