Yoann Solirenne : « Dans la bourse du fisc : petite histoire de l’impôt »
« On taxe tout, hormis l’air que nous respirons », se serait un jour exclamée Madame du Deffand (1696-1780) face à de nouvelles et impopulaires taxes. La femme de lettres était bien loin d’imaginer qu’un jour l’air, lui aussi, serait sujet à quelques méditations fiscales comme nous le verrons. Retracer l’histoire de l’impôt relève de la haute voltige. Fait total, il intéresse aussi bien le domaine de l’économie, de la politique, du sociétal que de l’histoire des mentalités. Intrinsèque à toutes les sociétés humaines, il est un mal nécessaire pour toutes les organisations étatiques. Dans le cas français, ses racines remontent à la période médiévale avant de s’épanouir au cours de l’époque moderne. Ses métamorphoses, au fil du temps, furent complexes et contribuèrent à donner naissance à l’État moderne. En 2021; les revenus de l’État par le biais des impôts et des cotisations sociales en France s’élevaient à environ 372 milliards d’euros, contre 319 milliards en 2011. Avant la crise sanitaire, en 2018, près de 400 milliards furent prélevés sur les contribuables. Cette hausse continue depuis les années 2010 trouble de plus en plus les esprits. Une enquête réalisée en 2015 révélait que 71 % des sondés jugeaient le montant des impôts excessif [1]. Ce contexte de plus en plus bouillonnant n’a pas refroidi les ardeurs de « France Stratégie », organisme rattaché au Premier Ministre, qui le 22 mai dernier a soumis l’idée d’un nouvel impôt visant à financer la « transition écologique » [2]. Censé peser sur les ménages les plus aisés, ce nouveau prélèvement – s’il voit le jour – risque de faire couler beaucoup d’encre… L’histoire des impôts en France et de son acceptation s’écrit au jour le jour.
Selon le philosophe Peter Sloterdijk, « L’État fiscal ne s’explique pas » [3]. Si tel devait être le cas, poursuit-il, celui-ci se perdrait dans des justifications qui, bien loin de le légitimer, sèmeraient une confusion qui lui serait préjudiciable. Au-delà de ces considérations, il est un fait plus assuré : depuis le XIXème siècle, l’impôt s’est taillé une place de plus en plus grande dans la vie des individus, jusqu’à modifier leur rapport avec l’État. Mais, pour bien comprendre ce processus, il convient de remonter le cours du temps. Le terme « impôt », dérivé du latin impositum (« ce qui est imposé »), ne s’installe dans la langue française qu’à partir du XVème siècle. Il désigne alors la levée permanente opérée par l’État sur les ressources des particuliers. De manière plus générale, les prélèvements pouvaient être exigés en nature (corvée, dîme…) ou monnaie sonnante et trébuchante (aides, capitation…) !. Il fallut patienter jusqu’au XVIIIème siècle pour voir se mettre un système préfigurant celui que nous connaissons aujourd’hui.
Ces évolutions sémantiques allèrent de pair avec une affirmation progressive de l’État. Comme l’a montré Norbert Elias, une série de luttes concurrentielles et éliminatoires favorisèrent la centralisation étatique qui, peu à peu, s’accapara divers monopoles, du domaine militaire à celui relevant des finances, le tout sur un territoire de plus en plus vaste [4]. Néanmoins, la fiscalité d’Ancien Régime était bien éloignée de la nôtre, aussi bien au niveau des types de prélèvement que de leur réemploi. En quelques mots, disons que leur montant dépendait en grande partie de la guerre et, qu’à ce titre, la fluctuation l’emportait nettement sur la stabilité. De même, la périodicité était elle aussi relativement instable même si, au milieu du XIVème siècle, un impôt royal permanent fut instauré comme nous le verrons. Quant aux sommes perçues, elles servaient essentiellement à faire fonctionner l’État, à financer la guerre ou encore à aménager des infrastructures (routes, ponts…). Le réinvestissement de l’impôt dans la sphère sociale fut, en fin de compte, un phénomène assez récent. Au-delà de ces quelques remarques introductives, il convient à présent d’ouvrir la bourse du fisc pour voir ce qui s’y cache. Défaisons le cordon et fouillons !