Transhumanisme et fiction : le cas David Cronenberg
Extrait de l’article Transhumanisme et fiction : le cas David Cronenberg de Loïc Besnier paru dans le Juste Mensuel n°4 (Mars 2022)
L’épidémie de Covid-19 que nous subissons depuis deux ans déjà aura permis à un certain nombre de personnalités de prendre un peu plus de lumière. Parmi elles, Laurent Alexandre, urologue aux multiples casquettes, personnalité clivante et souvent perçu comme l’un des principaux représentants du mouvement transhumaniste en France – bien qu’il conteste ces affirmations. S’il se veut critique dans son approche du transhumanisme, certains de ses propos laissent penser à un attrait certain du médecin pour le mouvement : lors d’une conférence TedX consacrée au recul de la mort, il déclare en effet : « La science donnera à l’Homme le pouvoir d’un dieu. L’Homme va remodeler l’univers. ». La conférence de Laurent Alexandre est un succès, comptabilisant plus d’1,3 million de vues sur YouTube, preuve d’un intérêt certain pour les idées développées par le médecin-entrepreneur.
Les arguments en faveur du transhumanisme ne manquent pas. On lui associe l’essor de la médecine méliorative. Il semble alors nécessaire de distinguer la compensation d’un handicap et l’amélioration de l’Homme sain. Compenser un handicap renvoie à la médecine, et à l’irruption de la technologie dans le processus de soin, tandis que l’amélioration de l’Homme sain ouvre un nouveau champ des possibles, scientifique, philosophique mais aussi mercantile. Dans un avenir plus ou moins proche, il serait possible de voir sa force ou encore sa vitesse décuplée par la technologie. Il serait également possible – et là semble résider le fantasme ultime – de repousser considérablement ou même de vaincre la mort.
L’édition 2017 du Forum européen de bioéthique, rendez-vous annuel strasbourgeois, faisait la part belle aux questionnements autour du transhumanisme, résumant cela de la façon suivante :
« L’humain se transforme sous nos yeux, physiquement, matériellement, en s’hybridant de plus en plus avec les machines. Non seulement notre génétique est susceptible d’être modifiée grâce aux nouvelles technologies, mais en plus, toutes ces modifications à venir sont plébiscitées par la technophilie ambiante de notre société. En quête d’un fantasme, l’immortalité, nous passons insensiblement de la réparation de l’Homme à son augmentation. Comme pour se rassurer, et parce que certains techno-prophètes soutiennent que tout est possible, les Hommes se plaisent à imaginer un avenir radieux où il serait possible de s’affranchir de nos faiblesses congénitales. Nous avons déjà vécu des utopies, mais celles à venir seront plus abruptes et dangereuses. Et le pire, c’est que certaines d’entre elles pourraient se réaliser.
L’idée que le progrès technique est toujours un progrès pour l’Homme s’est profondément installée dans nos sociétés libérales. Et c’est comme si la majorité de nos concitoyens ignorait les enjeux et profits pharaoniques qu’en attendent les industriels de l’information. Imaginer le monde de demain, celui de nos enfants et petits-enfants, non pas pour le maîtriser, mais simplement pour s’y préparer, voilà à quoi le Forum Européen de Bioéthique vous convie cette année pour cette nouvelle édition de nos rencontres et de débats si constructifs et si plaisants. »
Consacrer l’entièreté d’un forum de cette importance à la question transhumaniste est une preuve de la prise d’importance du sujet dans le débat public. Autre preuve de l’attention croissant accordée au sujet : l’un des projets de la Commission nationale française pour l’UNESCO, intitulé « Transhumanisme et Intelligence Artificielle » propose pour la période 2021-2022 un cycle de conférences « Penser le Transhumanisme ». L’essor des technologies numériques, de l’intelligence artificielle et le développement constant des technologies médicales ne font et ne feront à l’avenir, que renforcer la place des idées transhumanistes dans la société que cela soit dans les débats publics, mais aussi dans la pratique médicale.
Cependant, le mouvement transhumaniste n’est pas nouveau tout comme les questionnements éthiques et scientifiques qu’il se propose de soulever en abordant la question de l’Homme augmenté. Le but de ces quelques pages ne sera donc pas de commenter les thèses de Laurent Alexandre, ni de discuter de la pertinence du discours transhumaniste et de ses implications dès lors que l’on sort du fantasme, mais bien de rendre compte de la place et de l’influence du mouvement transhumaniste dans un cadre fictionnel. Nombreux sont les auteurs, cinéastes ou autres artistes à s’être un jour interrogés sur le transhumanisme, mais peu l’ont fait avec autant de détermination que le cinéaste canadien David Cronenberg, figure majeure du septième art depuis les années soixante-dix et maître du body horror – nous y reviendrons.
De Stereo à eXistenZ : quand la science transforme l’homme
Entre 1968 et 1999, le cinéaste canadien n’a eu de cesse de mettre en scène sciences et scientifiques, articulant sa filmographie autour d’un fil rouge : la mutation et la transformation des corps. Questionnant sans cesse le rôle croissant et prépondérant de l’influence des technosciences sur les corps humains, la filmographie de David Cronenberg peut s’envisager comme une réflexion sur ce que les personnages du cinéaste nomment à plusieurs reprises « nouvelle chair ». Sur les quinze films du cinéaste sortis au XXème siècle, onze peuvent être envisagés comme proposant une réflexion sur les technosciences.
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Cet article est issu du numéro de mars de Juste Mensuel.
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