Xavier Cauqil : « Les zones grises de la transition énergétique européenne »
En France, il est à coque verte, se prénomme « Linky », et hante nos foyers depuis fin 2015, date d’enclenchement de son déploiement systématique, aujourd’hui quasiment accompli. Il prend d’autres couleurs et possède d’autres surnoms mais se généralise aussi chez nos voisins européens suite à la Directive du 13 juillet 2009 établissant « les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité » [1]. Ce nouveau venu est un compteur intelligent, un compteur sachant compter, mais en plus de manière intelligente… ce qui mérite quelques éclaircissements.
À la base, le compteur intelligent est un instrument de mesure amélioré au bénéfice premier des énergéticiens. Sa sophistication électronique garantit d’abord une précision accrue dans le comptage et accessoirement écarte toute velléité de l’usager de fausser les mesures par quelque bricolage que ce soit. De plus, sa faculté de communication à distance, de même que la cadence des prises de mesure, permet au gestionnaire d’économiser les relevés physiques accomplis par des agents et d’affiner la vision des besoins en puissance électrique à fournir sur le réseau. Enfin, en termes d’abonnements, le changement de gamme de puissance souscrite (et donc potentiellement le « bridage ciblé »), l’enclenchement (à l’ouverture) comme la coupure (à résiliation) se pilotent à distance, sans déplacement de technicien.
Si les choses en restaient là, il serait difficile de comprendre l’emploi du qualificatif « d’intelligent », et plus encore l’intérêt appuyé de l’Union européenne pour un tel appareil et son inscription dans l’ambitieux programme de la « transition énergétique ».
Pour mieux en juger, rappelons quelques dispositions de la Directive de 2009. Linky comme ses homologues sont investis du titre de « systèmes intelligents de mesure » et bénéficient de l’insistance de l’institution auprès des États-membres en vue de leur généralisation. Leur adoption demeure, il est vrai, un choix à la discrétion de chaque État-membre, lequel peut fonder sa décision sur une évaluation coût/avantage préalable. Dans l’hypothèse favorable, l’État s’engage à doter au moins 80 % des clients dans les 7 ans suivant sa décision. Dans le cas contraire, le texte prévoit la réalisation répétée de nouvelles évaluations, au minimum tous les 4 ans. Autant prescrire la décision puisque seul un avis positif peut mettre fin à ce cycle pervers. En outre, si d’aventure cela ne suffisait pas, la Directive crée pour tout client final quelque soit son État de résidence, un « droit de disposer d’un compteur intelligent ».
L’Union se livre à l’évidence à une promotion plus qu’active et fin 2020, l’objectif des 80 % d’équipement des ménages en compteurs électriques intelligents était atteint dans 11 États-membres sur les 27.
L’institution justifie de pareils efforts en mettant en avant son souci du budget des usagers : « les systèmes intelligents de mesure autonomisent les consommateurs car ils leur permettent d’être informés de manière précise et en temps quasi réel sur leur consommation ou production d’énergie, et de mieux gérer leur consommation, de participer aux programmes de participation active de la demande et à d’autres services et d’en retirer les avantages, ainsi que de réduire leurs factures d’électricité » [2]. Chaque particulier appréciera par sa propre expérience les nuances qu’il convient d’apporter à la mention d’une réduction des montants facturés [3]. Certes Linky et ses confrères offrent des possibilités d’accès à différentes tarifications horaires, mais la part d’intelligence à portée de main s’avère plutôt limitée : petit écran vierge, pas d’afficheur déporté, obligation fastidieuse d’accéder aux données via internet. Que ce soit par principe ou pour raison de coûts, le dispositif se révèle plutôt avare de son intelligence à domicile, la réservant au système central.
Sources et notes :
[1] Directive 2009/72/CE, §55 et annexe I, p.91. [2] Directive (UE) 2019/944 du 5/06/2019, §52, p.132. [3] Les Linky révèlent une fâcheuse sensibilité aux puissances instantanées appelées, disjonctant de manière intempestive à l’enclenchement de certains appareils (micro-dépassements). Les clients se voient contraints d’augmenter la classe de puissance sur leur contrat, alourdissant leur facture finale par le renchérissement de leur abonnement indépendamment de leur consommation effective en électricité.