Il faut changer de lunettes : le coup de gueule de Rémy de Juste Milieu.

Nous n’avons même plus le droit au repos.

Le rythme des actualités qui bercent notre quotidien ne cesse de s’accélérer. En tout cas, c’est l’impression que laisse cette succession de déclarations foireuses, de vrais scandales étouffés et de faits divers amplifiés. Nous l’avions déjà dit ces derniers mois, ici, dans ces mêmes pages : un scandale en chasse un autre dans une dérive lente mais certaine vers l’égalité de toutes choses. 

Covid-19, guerre en Ukraine, une femme à pénis refusée chez le gynécologue… Difficile de savoir où donner de la tête tant le grave côtoie le risible, tant les abysses fréquentent la bêtise. Pourtant, les coups pleuvent sur la tête de ceux qui tenteraient de surnager. Là encore, le constat a été fait de longue date dans ces pages : quand les esprits de bon sens sont mis à l’isolement dans la cellule du complotisme, c’est qu’il y a quelque chose de pourri au royaume d’aujourd’hui.

Mais vous le savez, chère lectrice, cher lecteur : votre serviteur pangolin ascendant chien truffier à poils ras nourrit un amour profond pour les grandes tendances. Ces lignes courbes, souvent difficiles à percevoir mais que l’on retrouve toujours en arrière-plan de nos assourdissantes actualités. Ce sont bien elles qu’il faut surveiller en tout temps et en tout lieu. Ce sont bien elles qui éclairent, bien plus que n’importe quelle logorrhée diffusée à heure de grande écoute.

C’est précisément ce que je vous propose ce mois-ci, dans ce nouvel article pour Juste Mensuel : changer de lunettes pour mieux percevoir les lignes courbes de l’actualité. La supercherie Meloni, le néo-nazisme cool, le faux amateurisme de notre gouvernement français… Toutes ces grandes tendances que la frénésie du moment empêche de percevoir. Toutes ces grandes tendances que certains aimeraient laisser à l’arrière-plan, histoire de ne pas trop ébruiter le monde qui vient. Et celui qui est déjà là.

“Victoire de Giorgia Meloni en Italie : une nouvelle claque pour l’UE”
France 24, le 26 septembre 2022 [1]

Que n’avons-nous pas entendu sur l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni… 

C’est le 26 septembre 2022 que le coup de tonnerre a claqué : la coalition menée par le parti d’extrême-droite de Meloni remporte les législatives et débarque au pouvoir [2]. Le bruit des bottes, les années 30, l’héritière de Mussolini… La palme du qualificatif le plus apeuré revient au journal Franc-Tireur (Enthoven, Fourest et consorts) qui évoque sous la plume de Benjamin Sire en septembre 2022 la “muse de la mue néofasciste” dans un article sobrement intitulé “Giorgia Meloni : adroite dans ses bottes” [3] (rires). Mention spéciale à nos amis suisses du journal 24 Heures qui, le 26 septembre 2022, ont évoqué “une ex-fan de Mussolini qui a conquis l’Italie” [4]… un titre repris à l’identique et le même jour sur le site Internet du magazine Geo [5] ! N’en jetez plus ! Une fois n’est pas coutume, le chantage au fascisme était de retour, jusqu’au ridicule, pour prévenir des plaies qui allaient s’abattre sur l’Italie, rappelant les grandes heures des discours médiatiques post-Brexit, post-Trump, etc.

Mais le plan était presque parfait… Très vite, avant même la tenue des élections, le visage de Meloni s’était adouci. Enfin, disons-le autrement : la fasciste d’extrême droite anti-migrants, pro-Trump, pro-Poutine, anti-UE (complétez la liste) n’a pas tout de suite incarné toutes les menaces qui pesaient sur sa tronche. Du 2 au 4 septembre 2022 s’est tenu le Forum Ambrosetti, une sorte de “mini-Davos” à l’italienne. Affaires, finances, industrie… Les personnages les plus influents s’y retrouvent pour “discuter”. Cette année, la personnalité la plus attendue n’était autre que Giorgia Meloni, venue montrer patte blanche en vue des élections. De quoi rassurer, même du côté du Monde qui titrait le 20 septembre 2022 : “En Italie, les milieux d’affaires penchent pour la candidate d’extrême-droite Giorgia Meloni” [6]. Une Trump à l’italienne soutenue par les milieux d’affaires ? En même temps, si l’on file les métaphores historiques à l’arrache comme l’ont fait nos amis médias, ça n’est pas la première fois que les milieux d’affaires soutiennent le fascisme. Il suffit de jeter un œil sur le comportement des tycoons américains dans les années 30 face à l’émergence d’un certain Hitler de l’autre côté de l’Atlantique. Mais curieusement, cela n’a pas été rappelé au temps de Meloni. Et ce n’est que le début de la supercherie…

Sources :

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Cet article est issu du numéro d’octobre 2023 de Juste Mensuel.

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