Covid-19, Ukraine : médias et communication paradoxale
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Tout le monde a plus ou moins compris que les médias et la communication en général sont avant tout constitués par…
… des discours !
Cela ne préjuge en rien de leur véracité et de leur intentionnalité.
Avec les mots, ce qui est à la fois formidable et problématique, c’est qu’ils ont un double sens, voire plus ! C’est aussi vrai sur le plan du langage verbal que du non-verbal. Enfin, c’est cela qui rend possible également l’ironie et le sarcasme par exemple.
Le sens d’un discours peut donc être multiple selon le point de vue de l’émetteur et du récepteur du message. Bref, tout cela pour dire que tout énoncé est, d’une certaine manière, « libre » d’interprétation.
Néanmoins, il me semble pertinent de vous présenter un des facteurs qui peuvent venir perturber le processus d’échange de messages entre les personnes. En effet, quand tout se passe bien, celui qui parle est compris par celui qui écoute. Vous me direz, cela va de soi, mais…
… pas tant que cela !
Plusieurs éléments peuvent venir faire irruption et « brouiller » le message. Que ce soit au niveau des individus ou des contextes.
Le « double lien »
L’exemple le plus classique en psychologie est fourni par ce qu’on appelle la communication paradoxale. Elle a été mise en lumière par un chercheur, Gregory Bateson, dans les années 1950.
Un paradoxe est un message qui communique en même temps deux sens opposés. Par exemple, l’injonction « sois spontané » est un message de communication paradoxale car la spontanéité ne fonctionne pas sur commande ! Nous utilisons tous, de temps en temps, ce type de formulations et cela ne bouleverse pas nécessairement tous nos échanges.
Cependant, si toute la communication est frappée de ce genre d’énoncés, cela peut vite devenir problématique et définir un relationnel (très) singulier…
Ce chercheur a ainsi mis en lumière un type particulier de relations utilisant ce paradoxe, qu’il appelle le « double bind », traduit en français par « double lien » ou « double contrainte » selon les écoles de pensée.
On peut trouver ce type relationnel dans différents contextes, aussi bien entre une mère et son enfant, que dans un couple ou entre collègues…
Je t’aime… moi non plus
On peut prendre, pour exemple, ce qui peut se passer entre un enfant et sa mère qui fonctionneraient de cette façon : la mère dit à son enfant verbalement qu’elle l’aime mais chaque fois que ce dernier se rapproche d’elle physiquement, elle le repousse. L’enfant perçoit donc, par deux canaux différents, deux messages paradoxaux : le « je t’aime » verbal et le « je te repousse » non-verbal.
L’enfant ne sait donc pas quel sens choisir dans ce message venant de la mère. L’enfant va donc choisir l’un ou l’autre des deux sens. Et c’est là où le piège se referme. En effet, s’il choisit de croire au premier sens (le « je t’aime »), il va chercher à se rapprocher de sa mère mais va encore se voir repoussé, et s’il choisit de croire au second sens (« je te repousse »), il peut avoir différentes réactions mais intérioriser le rejet de sa mère en tout cas. Dans les deux cas, cela induit de la confusion pour l’enfant, qui ne comprend pas ce qu’il se passe.
Dans le cas où l’enfant voudrait tenter d’échapper à ce « jeu » relationnel, il peut utiliser la méta-communication (c’est-à-dire, succinctement, se renseigner sur le sens du message), et donc de demander à sa mère si elle l’aime par exemple. Mais dans le cas de ce type de relation, la mère va répondre que le fait même de poser une question comme cela est une preuve que l’enfant est méchant ou rejetant…
Tout cela est valable dans différents contextes relationnels : familial, conjugal, professionnel, etc.
C’est une forme de relations qui enferment souvent les gens dans un cercle vicieux, assez destructeur, et dont ils n’arrivent pas à sortir.
Ce type relationnel n’est pas rare, il est même assez courant, bien que malsain voire pathologique. C’est le cas du directeur qui demande à ses collaborateurs d’être autonomes et qui leur reproche en même temps de ne pas le consulter avant chacune de leurs initiatives.
Ça vous dit peut-être quelque chose…
Et maintenant ?
J’ai parlé, jusque-là, d’exemples malheureusement courants entre individus.
Je crois que l’on peut étendre cette réflexion à la relation entre un ensemble de personnes (comme un gouvernement ou une assemblée) et des individus (les habitants d’un pays, un groupe quelconque). On peut, par exemple, penser que dire vouloir la paix dans une guerre et dans le même moment envoyer des armes à un des belligérants, me semble constituer un exemple d’injonction paradoxale plutôt récente…
À mon avis, qui n’engage que moi, toute la gestion et les mesures prises contre le Covid me semblent frappées de cette communication paradoxale.
Il est intéressant de noter que cette théorie de Bateson est utilisée dans la compréhension et le traitement de troubles mentaux. En effet, l’école de Palo Alto, qui a développé cette question, a mis en évidence des fonctionnements de cette nature dans les schémas relationnels familiaux de personnes ayant des pathologies mentales. Il a notamment été avancé qu’on pouvait la rencontrer notamment dans les familles de patients schizophrènes, et que cette communication paradoxale contribuait à la mise en place de cette pathologie par ses effets délétères confusionnants.
Est-ce à dire que cette communication paradoxale autour du Covid (et peut-être du reste ?) pourrait nous rendre confus voire délirant ?